Au delà de l’exemple du lycée Stanislas, les propos ministériels sur l’enseignement privé sont un puissant révélateur des ressorts des politiques publiques actuelles et de leurs effets dévastateurs sur la société toute entière. Il en va de Parcoursup comme du reste : cachée sous le discours de la liberté de choix, la loi orientation et réussite des étudiants, avec son avatar, Parcoursup, constitue un outil majeur de ségrégation sociale.
Né avec la Loi orientation et réussite des étudiants (Loi ORE), en 2018, Parcoursup organise le tri des candidature vers l’enseignement supérieur, désormais entièrement soumis au principe de sélection. La plateforme a été conçue pour offrir l’illusion du libre choix sous couvert du slogan « le dernier mot au candidat ». Dans les faits, c’est un magnifique outil de dissimulation de choix politiques visant à affaiblir l’enseignement supérieur public et à préserver l’affectation des jeunes issus des classes sociales les plus favorisées dans les formations les plus réputées. Techniquement, l’outil Parcoursup est au service de cet objectif. Le choix des modalités de la procédure d’affectation dans le Supérieur relève ici d’un projet politique, celui de garantir les privilèges des plus privilégiés, dans un contexte où l’enseignement supérieur public souffre de sous-investissements chroniques.
Mention de l’établissement d’origine et critères secrets de classement des candidatures
Malgré les recommandations réitérées de la défenseure des droits, de la Cour des comptes, du conseil éthique et scientifique, de multiples rapports parlementaires, le ministère de l’enseignement supérieur persiste à refuser de supprimer la mention de l’établissement d’origine… Au nom d de la garantie de mixité sociale ! Il faut maintenir la mention de l’établissement d’origine , nous dit-on , pour valoriser les candidatures d’élèves engagés dans les « Cordées de la réussite » .
« L’article 37 de la loi « LPR » du 24 décembre 2020 permet aux formations de l’enseignement supérieur, dans le cadre de l’examen des candidatures prévu par la procédure Parcoursup, de tenir compte de la participation des bacheliers aux dispositifs, de type « cordées de la réussite » mis en place entre les établissements d’enseignement pour garantir l’égalité des chances. »
Note de cadrage Parcoursup 2024
Avec le secret des critères de classement, considéré comme un élément de délibération de jury, garanti par la loi ORE, les informations sur le candidat via la fiche Avenir, la lettre de motivation et la mention en clair de l’établissement, permettent donc de mener les opérations de classement sans réel contrôle extérieur, même si, en théorie, le ministère de l’enseignement supérieur, via le Comité éthique et scientifique, est supposé vérifier la conformité de la procédure avec la Charte de Parcoursup.
« La procédure nationale de préinscription Parcoursup est fondée sur des principes de non discrimination, d’égalité de traitement des candidats, d’équité et de transparence dans le traitement des vœux. Ces principes, dont le comité éthique et scientifique de Parcoursup vérifie la bonne application, permettent de garantir que la plateforme Parcoursup est mise en œuvre au service des candidats. »
Charte de la procédure nationale Parcoursup
Les opérations de classement ouvrent dans les faits de multiples possibilités de manipulation, via des pondérations ou de notes supplémentaires, en toute légalité. Alors certes, les candidats peuvent demander a posteriori la justification de leur classement mais rien ne permettra d’en étayer publiquement le fondement.
La loi ORE et les outils d’aide à la décision peuvent donc facilement prendre en compte l’établissement d’origine pour tout autre raison, sans que personne n’ait finalement à rendre des comptes en dehors de la commission d’examen des voeux. En l’occurence, l’égalité des chances , sans cesse invoquée par les ministres pour justifier les aménagements de Parcoursup, permettent surtout à celles et ceux qui connaissent le mieux le système et sont habitués contourner les règles, de tirer leur épingle du jeu.
Promotion du privé
Avec Parcoursup, le ministère est pleinement entré dans les logiques commerciales d’un vaste marché de l’éducation qu’il a participé à dynamiser , en accordant à de nombreuses officines privées, non seulement une vitrine mais aussi des moyens financiers. Des startup de coaching , des associations masquant des entreprises à but lucratif, reconnues et financées par l’institution et les collectivités territoriales, se sont vues ouvrir en grand les portes de l’Education nationale.
Sous couvert d’une exigence de transparence, le dernier projet de décret modificatif pour la session 2024, impose désormais aux formations d’afficher le montant des frais de scolarité, l’habilitation à recevoir des boursiers, l’éventuel label attribué par l’État, mais aussi le taux d’admission de l’année précédente, ainsi que le taux d’insertion professionnelle. Ces modifications concourent dans les faits à légitimer les formations privées dont le poids ne cesse de grandir d’année en année.
Cela contribue même à valoriser des cursus qui affichent clairement des engagements confessionnels qui entrent en contradiction totale avec les principes républicains et les valeurs démocratiques. Sur le site Parcoursup, on peut ainsi découvrir une licence Humanités de l’Institut Saint-Pie X, légitimé par un beau badge « diplôme contrôlé par l’Etat », mais de l’ancrage idéologique fondamentaliste, l’usager n’en saura rien ! En effet, cet institut, bien que bénéficiant d’une reconnaissance du Rectorat de Paris depuis vingt ans, est administré par des prêtres de la Fraternité Saint Pie-X, considérée comme intégriste catholique. C’est un exemple parmi d’autres, mais il révèle la volonté politique d’institutionnaliser l’enseignement supérieur privé, y compris le plus anti-républicain.
Délit d’initié et relégation des moins favorisés
La mécanique de plus en plus perfectionnée de Parcoursup invisibilise les logiques de ségrégation sociale, genrée et territoriale par une rhétorique de la responsabilité individuelle. A ce jeu de la mise en valeur de soi-même et de la connaissance des règles, les classes sociales les plus favorisées sont aussi les plus habiles dans le contournement des obstacles.
La solitude du candidat face à son écran et à l’application Parcoursup, de la saisie des voeux aux résultats, participe aux creusement des inégalités. La sélection des plus favorisés socialement finit par apparaître comme le résultat d’un processus naturel. Dès 2018, le SNES-FSU alertait sur les effets des modalités d’une plateforme pensée pour dissuader les jeunes les plus fragiles socialement de poursuivre des études. Articulé au lycée « à la carte », cela démultiplie les critères de discrimination. A terme, de l’enseignement secondaire au supérieur, des classes de niveau au collège, en passant par les « prépa-lycée » pour les recalés au DNB, jusqu’à Parcoursup et la plateforme « Mon Master », cela risque de transformer le système éducatif français en un vaste bassin de décantation, d’où émergeront en bout de course, les seuls capables de reproduire une élite sociale, économique et politique, déjà en place.
« Avec Parcoursup, chaque lycéen se plie à un cérémonial qui dépasse la seule construction d’un projet d’orientation, mais lui impose un rapport à l’avenir nécessairement fondé sur l’attente, l’incertitude et la comparaison à autrui défini comme l’ennemi à abattre puisqu’il risque de jeter une ombre sur le projet personnel. Cette lutte sera d’autant plus âpre et incertaine que, selon un amendement ajouté lors du vote de loi « Orientation et réussite étudiante » au Sénat, les capacités d’accueil d’une filière pourront varier d’une période à une autre.Les réformes du lycée et du baccalauréat s’inscrivent dans ce projet. On le retrouve dans l’individualisation des parcours qui repose sur le choix de modules transversaux sans assurance de cohérence des savoirs. Or, cette lecture très individualiste comporte de nombreux risques et en particulièrement celui de transférer la responsabilité de la réussite ou de l’échec des épaules de l’État, par le biais de ses investissements, à celui des élèves. La conformité avec les « attendus » de l’enseignement supérieur dépendra du choix des « bons » modules par l’élève dès le lycée. Ce système de savoirs « à la carte » existe déjà en Grande-Bretagne, où il est dénoncé depuis au moins une vingtaine d’années. Alors que les étudiants se voient offrir une soixantaine de modules, seule une poignée (les mathématiques en têtes) sont considérées comme utiles pour la réussite dans le supérieur, quelle que soit la filière et l’établissement. »
Revue Enjeux, FSU, 1er trimestre 2018
En finir avec Parcoursup !
Revoir la loi orientation et réussite des étudiants et supprimer Parcoursup relèvent aujourd’hui d’une urgence sociale. Les masques sont tombés et le projet macroniste, profondément inégalitaire, apparaît désormais dans la lumière crue de l’expression gouvernementale. Empêcher tout un pan de la jeunesse de poursuivre des études , l’enfermer dans un système éducatif si inégalitaire et injuste , n’est pas soutenable, ni politiquement, ni socialement. Il est plus que temps d’investir massivement dans l’enseignement supérieur public, de mettre fin à la sélection à l’entrée à l’université et permettre à toutes et tous de poursuivre les études de leur choix.